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Le Chemin de fer Stratégique de Belfort
Voie de 0,60 m

 

Cet article a été écrit par Jean FLORIN. Les photos proviennent de sa prodigieuse collection sur tout ce qui concerne le Chemin de Fer.

 

    "Pour les habitants anciens de certaines places fortes de l'Est, aucune explication n'est nécessaire, Péchot et stratégique, ces deux noms presque mythiques faisaient partie du paysage de la ville. Comme il semblerait que je sois l'un des rares amateurs à avoir vu rouler des locomotives Péchot, je vais évoquer pour vous la genèse du système, puis mes souvenirs.

Genèse
Le "chemin de fer stratégique" et les locomotives "Péchot" tournent autour de l'extraordinaire  personnalité du Colonel Péchot. Breton né à Rennes en 1849, il n'a été artilleur qu'un temps et n'a jamais tenu garnison dans une place forte, ses activités militaires ont été toutes autres.
Considérant le poids toujours croissant du matériel militaire, il sus dès 1882 entrevoir ce que le "porteur Decauville", dûment repensé et renforcé, pourrait apporter dans le cadre des indispensables liaisons entre les couronnes de forts entourant les places fortes et les places fortes elles-mêmes avec leurs arsenaux, magasins et parcs à fourrage.
Il vit aussi l'immense service que pourrait rendre à une armée en campagne un chemin de fer "portatif" léger et bien conçu, doté d'une voie se posant relativement rapidement, dans le domaine des approvisionnements venus de l'arrière.
Il avait admis que jamais les routes de son époque ne pourraient être assez résistantes pour supporter longtemps les charrois que comporte, aux alentours d'un parc d'artillerie, le service de ce qui s'appelait alors un "équipage de siège". Une sérieuse étude faite après-coup démontra que c'était justement ce problème de routes transformées en bourbiers qui avait retardé la mise en place de la totalité de l'artillerie allemande autour de Paris lors du siège de 1870.

Le colonel Péchot, premier "bénévole" de la voie de 60
Assisté de trois officiers qui partageaient ses idées, travaillant en dehors et en sus de ses occupations militaires officielles, le colonel Péchot, reprenant le principe du "porteur Decauville", mit au point sa propre voie,beaucoup plus lourde que la Decauville. Chaque élément, dénommé "travée", était constitué par deux rails de 9,5 kg/m et de 5 m de long, rivés sur des traverses en "U" de 140 x 29 et de 1094 de long, débordant donc bien des rails, fermées aux extrémités par emboutissage. Les bords emboutis étant rabattus verticalement, ces traverses s'encastraient dans le terrain à la manière d'une boite renversée. Un trou de bon diamètre était percé à chaque extrémité de chaque traverse, de façon à éviter la stagnation de l'eau lorsque les travées étaient stockées à l'envers, dans les parcs. Chaque élément, pesant 167 kg, était manipulable par quatre hommes (rappelons que le maximum de la charge admise dans les "travaux de force" était alors de 50 kg). Indépendamment des travées droites, il existait des éléments courbes aux rayons de 100m, 50m, 30m et 7,63m. Les rails étaient munis en bout d'un système d'éclissage mâle-femelle, avec une plaque d'appui en tôle rivée par en dessous, empêchant les bouts des rails de se déniveler lorsqu'on n'avait pas eu le temps de boulonner les éclisses. Des aiguilles de même conception avaient été mises au point, avec deux rayons de courbure, 20 et 30 m, pesant respectivement 510 et 615 kg. Existaient également des plaques tournantes de 1,30 m et de 1,70 m de diamètre. L'ensemble de ce système de voie, travées et aiguilles, pouvait être muni de contre-rails en cas d'utilisation permanente, dans les rues des places fortes par exemple ou pour les traversées à niveau.

Un matériel remorqué adapté.
Les "wagons" Péchot étaient en fait de gros wagonnets à deux essieux de faible empattement, suspendus au moyen de ressorts à lames et construits entièrement en acier. Afin de limiter l'usure des coussinets dans les courbes de faible rayon, tous étaient dotés de grenouillères en acier, articulées sous le coussinet de chaque boite. Il s'agissait en fait de petits plats équipés d'un frein à main agissant sur les quatre roues et commandé par un volant à axe vertical. Tous étaient, en leur centre, pourvus
d'un trou bagué et d'un chemin de roulement circulaire en fer plat épais centré sur le trou. Le trou bagué recevait, soit la cheville ouvrière d'une traverse pivotante, soit les pivots d'un "tablier de truck", sorte de solide châssis de wagon plat de 6 m de long et de 1,67 m de large. Ce "tablier truck",monté sur deux wagons constituait alors un wagon à bogies, celui auquel on pense aujourd'hui lorsqu'on évoque le matériel Péchot. Il faut bien comprendre que le véhicule à bogies était et restait constitué  de trois éléments indépendants : deux wagons d'une part, qui auraient pu être utilisés isolément en recevant une caisse en bois adaptée à certains transports, et les
"châssis de truck" d'autre part.
Les "châssis de truck" pouvaient recevoir un aménagement à base de planches permettant d'emmener 40 hommes assis et, pour ce service, une toiture à deux pans avec fermeture par bâche aux extrémités. Les "wagons" pouvaient, eux, grâce à leur axe central et à leur chemin de roulement circulaire, recevoir des châssis pivotants à la manière des couplages à bois des grands réseaux, permettant alors de transporter de longues charges, ils étaient dans ce cas réunis par une barre d'écartement réglable en longueur.
Chaque "wagon" était muni de deux tampons de choc et d'attelage. L'un à ressort du côté de la colonne de frein à main, l'autre "sec" (dépourvu de ressort), était plus court, de façon à pouvoir s'engager sous le tablier du "châssis de truck". En pratique, les "wagons" utilisés isolément devaient êtres orientés au moyen des plaques tournantes de façon à ce qu'un tampon à ressort rencontre toujours un tampon sec. Vu la conception du système, les "châssis de truck" montés sur deux "wagons" présentaient forcément un tampon à ressort à chaque bout.

Un matériel moteur original
Le colonel Péchot ne se pencha sur la question des locomotives qu'une fois résolu les problèmes de voie et du matériel roulant remorqué. Même en traction hippomobile, son système représentait déjà un immense progrès par rapport aux seules voitures à chevaux. Son choix se porta sur le type de locomotive dit
"Fairlie du Festiniog", qu'il modifia avec l'aide de Monsieur Bourdon, ingénieur chez Decauville et professeur à l'Ecole Centrale. C'est ainsi que naquirent les machines Péchot-Bourdon, auxquelles seul resta attaché  le nom du colonel Péchot.
Elles se caractérisaient par une chaudière  comportant deux foyers et deux corps cylindriques. Le dôme de vapeur, placé au centre, permettait de soutirer de la vapeur à une distance quasi-constante du niveau de l'eau dans la chaudière quelle que fut la rampe gravie, le ciel des deux foyers restait ainsi toujours baigné par l'eau. Chaque groupe de quatre roues et deux cylindres constituait un bogie, l'admission de la vapeur aux cylindres de chaque groupe était commandée par deux régulateurs indépendants, mais rendus solidaires en temps normal. En cas d'avarie au mécanisme de l'un des bogies, on pouvait le rendre aussitôt indépendant en désolidarisant les régulateurs et continuer la marche avec l'autre bogie moteur.
La position très basse de l'axe de la chaudière rendait la machine très stable, du moins en principe et sur une voie à peu près bien dressée. Elle s'inscrivait sans problème dans des courbes de 20 m de rayon, tout en pouvant remorquer 340 tonnes en palier à 15 km/h et 300 tonnes à 20 km/h, 48 tonnes en rampe de 25, 20 tonnes en rampe de 50 et 8 tonnes en rampe de 80. Sur le réseau de Belfort, de telles rampes, combinées avec des suites de courbes et contre-courbes, se rencontraient sur les voies d'accès de certains forts, en particulier ceux de Roppe et du Salbert.

Une longue mise en application
Sous-traité par la Sté Franco-Belge à Raismes, la première locomotive, la n°1, fut livrée en 1887 par les Ets Decauville, munie d'une plaque Decauville, et commença aussitôt ses essais.
Une fois son matériel bien au point, il ne restait plus au colonel Péchot qu'à convaincre les états-majors de la justesse de ses vues. Or, et contrairement à ce que l'on pourrait croire, il semble bien que ses idées ne furent admises que lentement et difficilement. Heureusement, sa conviction profonde combinée à une bonne dose d'obstination finit par avoir gain de cause. Et, le 3 juillet 1888, Monsieur de Freycinet, ministre de la guerre, prit la décision de doter les places fortes de Toul, Verdun, Epinal et Belfort d'un réseau stratégique à voie de 60, le génie s'occupant des infrastructures et l'artillerie du matériel.
Dès lors les commandes de locomotives Péchot-Bourdon furent lancées et les livraisons s'échelonnèrent ainsi :
Les machines n° 2à 20, fournies par Cail en 1888 (n° 2771 à 2789); les n° 21 à 32, fournies par Fives-Lille en 1889/90 (n° 2769 à 2780);
les n° 33 à 35, fournies par Cail en 1892 (n° 2377 à 2380); les n° 41 à 56, fournies par Cail en 1906 (n° 2794 à 2809).
Ces 50 locomotives constituaient la base de l'équipement traction des réseaux des quatre places fortes.
Dès la déclaration de guerre de 1914, une mission française se rendit aux Etats-Unis afin de commander du matériel de transport livrable très rapidement. Parmi un lot énorme traité avec les usines Baldwin, on trouve 270 locomotives Péchot-Bourdon, dont les livraisons commencent à partir du 24 avril 1915. Ce seront les locomotives n° 62 à 161, 175 à 188, 190 à 220 et 225 à 353. Sur ces 270 machines, certains documents font état de 280 locomotives, mais les numéros connus ne correspondent pas,
19 auraient été dirigées sur l'Algérie et les 251 autres sur la France, où elles furent immédiatement engagées dans le tourbillon du conflit.
Comme les "Françaises", les "Américaines", presque semblables, sauf en ce qui concerne les sifflets qui en fait étaient des sirènes, portaient des plaques mentionnant "ministère de la guerre, Artillerie Locomotive modèle 1888 breveté SGDG". Un grand nombre de ces machines fut détruit par fait de guerre ou par sabotage lors des replis, afin de ne pas abandonner à l'ennemi un matériel intact. Les survivantes se retrouvèrent dès 1919 sur les réseaux des places fortes et dans les parcs, il semblerait qu'aucune d'entre elles n'eût été vendue à l'industrie privée, contrairement à la quasi-totalité du matériel anglais, américain et allemand récupéré.

Témoignages......
J'ai eu le grand privilège de rencontrer d'anciens "roulants militaires" qui avaient été mécaniciens ou chauffeurs sur des Péchot. Dans l'ensemble, les témoignages concordent : elles allaient bien et "gazaient" bien, dans la mesure où elles étaient chauffées aux briquettes. Par contre, des réserves étaient formulées quant à l'adhérence : dans ce domaine, les 040DFB ex-allemandes étaient supérieures, Belfort en avait reçu deux et les roulants avaient pu faire la différence. Mais sur le plan de la souplesse et du comportement sur des voies pas toujours bien dressées, les Péchot étaient incomparables, bien que tous les anciens mécaniciens et chauffeurs évoquèrent une certaine crainte de voir la machine basculer dans certaines courbes en pente, l'eau passant d'une caisse à eau dans l'autre par les tuyaux de communication entre les soutes, pouvait amener le centre de gravité de la machine à se déplacer latéralement et c'était dangereux, eu égard au faible écartement de la voie par rapport à la largeur de l'engin. Bien sûr, ce n'était pas dans les courbes en ville que cela risquait d'arriver, la crainte se réveillait dans les forêts désertes, sur les longues, difficiles et sinueuses lignes d'accès aux forts. Peut-être que ce sentiment d'insécurité, mais ce n'est qu'hypothèse de ma part, était psychologiquement  accentué par le fait que, durant la marche, chauffeur et mécanicien, séparé par les foyers centraux, n'avaient guère de moyen de communiquer entre eux. De plus, tous avaient, plus ou moins directement, entendu parler de 230T Hunslet ou Baldwin du LROD qui passaient pour se renverser facilement. Quoi qu'il en soit, à Belfort du moins, personne n'a vu de Péchot renversée. J'ai aussi entendu parler de sérieuses difficultés d'amorçage des injecteurs, de type Friedmann, puis en partie Sallers.
Ceci était logique, les caisses à eau latérales, serrées contre les corps cylindriques, participaient au réchauffement de l'eau, surtout en été, et, dès le seuil fatidique des 40/45° atteint, il devient très difficile, sinon quasi-impossible d'amorcer les injecteurs. Aussi, il était fait grand usage de l'éjecteur à vapeur permettant d'aspirer de l'eau dans les ruisseaux proches de la voie : plus grand était la quantité d'eau dans les caisses, plus le réchauffement était long à se produire. Et plus les caisses étaient pleines, plus le risque de basculement était retardé.
"Savez-vous reconnaître l'avant de l'arrière d'une Péchot"? me demanda l'un de ces anciens, une lueur malicieuse dans l'oeil. Il me l'expliqua car, évidemment, je ne le savais pas. Je vous livre le secret: le tuyau d'aspiration de l'éjecteur, toujours enroulé sur ses supports, était placé sur la caisse à eau avant droite et le levier cranté du changement de marche (côté mécanicien) était à droite, tandis que les deux portes de foyer côté chauffeur étaient à gauche. D'où il était aisé de distinguer l'avant de l'arrière, question d'ailleurs purement intellectuelle, car les Péchot, absolument symétriques, étaient indifféremment utilisées dans les deux sens. Aucune plaque n'était d'ailleurs prévue pour les tourner.
Le travail du chauffeur, en ligne, était pénible: casser des briquettes et les enfourner dans les deux foyers n'était pas évident, car la place dont il disposait était plus que limitée. Et puis, les Péchot étaient dotées d'un appétit féroce, d'où les empilages de briquettes.

......Souvenirs
J'ai dit que j'avais la chance d'avoir vu rouler des Péchot, privilège dû à l'age, mais aussi au fait d'avoir grandi à Belfort: pour moi, le "stratégique" fait partie de mes souvenirs ferroviaires d'enfance. Je revois une Péchot tanguant un peu, en tête de deux "wagons à bogies" sur les rail encastrés dans le trottoir du Quai Vauban.
J'en revois une autre, sortant, sous la pluie, un wagon bâché de la "Manutention". J'en revois une au bas de l'avenue de la Laurencie, sans doute descendant du dépôt de l'arsenal du Vallon.
Dans la ville, les rails du stratégique, on les retrouvait partout: sur les larges trottoirs de certains quais, ou encastrés dans la chaussée le long du trottoir pour certaines rues. Je me souviens très bien qu'il n'était pas si aisé que cela de rouler longtemps à vélo entre les rails: déduisez des 0,60 m la largeur nécessaire au passage des boudins des roues et l'épaisseur des deux contre-rails, il ne devait rester qu'une cinquantaine de centimètres dans lesquels il fallait se maintenir, faute de quoi....
Tous les établissements militaires étaient reliés entre eux par le stratégique: le magasin à poudre, le moulin à siège, le château, le magasin des subsistances, la manutention militaire, l'arsenal, le parc à ballons, le parc à fourrage, le parc d'artillerie. A ces embranchements, il y avait lieu d'ajouter celui donnant accès à la gare marchandise de Belfort rue de Mulhouse, où le stratégique disposait d'un quai établi de façon à ce que le plancher de ses wagons soit au niveau de celui des wagons des grands réseaux. Tous ces raccordements avaient donné lieu à un grand nombre de traversées de routes, souvent en biais ou en courbe, au grand dam des cyclistes alors nombreux. Il existait en ville au moins trois croisements avec la voie métrique CFB, plus un autre en campagne. Il y avait un autre croisement au centre du carrefour Clémenceau, les rails du stratégique coupaient ceux des tramways électriques. Et là, il semble bien que cela n'allait pas tout seul, ce croisement était très souvent en réfection sous le contrôle du génie: lorsque ça allait pour le tramway, ça n'allait pas pour le stratégique, et inversement. Je n'ai jamais compris pourquoi il semblait si délicat de faire se croiser de façon satisfaisante les rails de la voie Péchot et les rails Broca du tramway, il est vrai que ce croisement n'était pas rigoureusement à angle droit, ce qui ne devait rien arranger.
Ce que j'aimais, c'était les endroits à partir desquels les rails du stratégique quittaient les pavés ou l'asphalte de la cité pour courir dans l'herbe, ou en accotement des chemins en direction des différents forts, parfois très éloigné. Je ressens encore physiquement mon plaisir de gosse marchant sur les larges traverses de la Péchot, noyée dans l'herbe. Les lignes desservant les forts étaient suivies par un unique fil téléphonique, monté sur poteaux en bois. Tous les cinq ou six poteaux, on trouvait une "descente" sur laquelle on pouvait, en cas d'incident, brancher le téléphone de campagne dont les machines étaient munies.
Ce qui me frappait, sur les petites locomotives gris foncé, c'était leur chargement de briquettes : elles étaient littéralement ensevelies sous les briquettes et celles empilées en biais, de part et d'autre de la cheminée, augmentaient le volume et la présence de la petite machine. Sur certaines de ces briquettes, je pouvais déchiffrer une inscription mystérieuse : "Aniche BS", inscription identique à celle que je pouvais voir, du haut du pont Michelet, sur les briquettes des tenders des machines grands réseaux. D'autres briquettes, et cela m'intriguait, portaient simplement, gravée en creuxx, une ancre de marine. Le gosse que j'étais alors ne savait pas que, plus de 20 ans plus tard, il retrouverait ces mêmes briquettes frappées d'une ancre sur les machines de la Région  Méditerranée ou des chemins de fer des Bouches du Rhône : c'étaient les briquettes de la Grande Combe, fournisseur de la marine.
Il n'existait pas de "grille de circulation"planifiée, avec un horaire. J'ai su par la suite que la desserte des établissements militaires se faisait à la demande, en fonction des besoins. Quand à celle des forts, elle se faisait à un rythme hebdomadaire, chaque fort étant, sauf besoin particulier, desservi une fois par semaine: le lundi pour les forts de Roppe et du Rudolphe, le mardi pour ceux de Bessoncourt et de Vézelois, le mercredi  pour celui du Bois d'Oge, le jeudi pour celui du Mont-Vaudois et le vendredi pour celui du Salbert. Les dessertes de Roppe, du Mont Vaudois et, surtout, du Salbert étaient les plus difficiles à assurer, les lignes en cause présentant de longues et sinueuses rampes en forêt.
Tout ce que j'ai appris de tangible et d'historique sur le stratégique n'est venu à moi que bien plus tard, souvent après que ses derniers rails eurent été arrachés au gré des travaux de voirie. C'est ainsi  que j'ai su que le réseau de la place avait disposé, outre ses Péchot, de deux machines 040 DFB ex-allemandes et de deux locotracteurs Schneider à huile lourde, à trois essieux couplés par bielles, type LG. Mais jamais, je n'ai vu rouler ni DFB ni Schneider, ils avaient dû être mutés à Toul bien avant la guerre. De même, il existait une demi-douzaine de wagons-citernes à bogies construits par Decauville; les citernes, ayant la forme d'un parallélépipède rectangle, munies d'une pompe à bras permettant de les remplir depuis une rivière, servaient à approvisionner en eau certains forts, dont c'était la seule source d'alimentation.
Il semble que, sous l'occupation, le seul tronçon régulièrement exploité eût été celui reliant le parc d'artillerie à la gare de la rue de Mulhouse, celui-là même qui coupait la voie du tramway urbain. Ce tronçon permettait de transporter en gare les ferrailles récupérées par les Allemands.
Un après-midi de l'été 1944, j'ai vu, justement en gare marchandises de la rue de Mulhouse, se déployer les forces des troupes d'occupation. Sous les ordres hurlés par des officiers allemand, sur de longues rames de wagons plats manoeuvrés par une 040 TA qui les déplaçait au fur et à mesure, j'ai avec horreur vu charger tout le matériel du stratégique: dix à douze machines Péchot, des cohortes de "trucks" dont certains chargés de piles de rails neufs, les citernes Decauville, le tout sorti des réserves de l'arsenal. Certains "trucks"étaient chargés de ferraille: c'était toutes les pièces métalliques des forts de la place qui avaient été arrachées, jusqu'aux grilles des fenêtres! Suivirent des trucks et des trucks chargés d'éléments de voie Péchot déposée; tout rail qui n'était pas pris dans le bitume ou dans les pavés avait été récupéré! Poussés par leur frénétique besoin de métaux à refondre, nécessaire pour alimenter l'industrie de guerre du grand Reich, les Allemands embarquaient notre stratégique! La dernière Péchot, celle qui avait servi à pousser les derniers "trucks" sur les plats y monta à son tour!
C'était fini, il n'y avait plus de stratégique à Belfort.

Nostalgie :
Pour ne pas terminer sur une note triste, je vais rapporter une dernière anecdote. Mon père, né dans le vieux Belfort, me racontait souvent qu'au début des années 20, un groupe de gosses de la vielle ville dont il était, avait trouvé une occupation magnifique pour meubler ses jeudis après-midi. Au pied des fortifications, là où se dresse aujourd'hui le monument des Fusillés, se trouvait un petit faisceau de voies sur lesquels étaient garés quelques "châssis de truck" vides. De là partait sur la gauche la longue ligne vers les forts de Roppe et de Bessoncourt, ligne commençant par une longue rampe régulière, une rampe assez douce, mais que j'estime aujourd'hui comme présentant une déclivité de 10 à 15 mm/m. Sachant que la desserte des forts de la ligne ne se faisait en principe que le lundi et le mardi, la troupe de gosses prenait possession du "truck" le plus proche et, unissant ses efforts, ahanant, soufflant et transpirant, le poussait dans la rampe, complètement inconscient du danger. L'union faisant la force, ils parvenaient enfin au sommet, soit 2 bons kilomètres plus loin. Et alors, récompense merveilleuse de tout le mal qu'ils s'étaient donné, ils sautaient tous sur le plateau qui redescendait par gravité, doucement d'abord, puis prenant de la vitesse. Tous, extasiés, grisés par le tac-tac, tac-tac des roues qui frappaient les joints des rails de plus en plus fort, tous auraient voulu que la descente ne s'arrêtât jamais. Les deux plus costauds - ou les plus raisonnables!- étaient néanmoins cramponnés au volant du frein, de façon à être bien sûr de s'arrêter en bas. Ni vue ni connue, l'opération se répéta deux jeudis de suite. Formidable! le jeudi suivant, réédition de l'exploit. Seulement, oh horreur, ils virent, du milieu de la descente, un train qui montait! Oubliant le frein, tous sautèrent en marche et s'égaillèrent comme une volée de moineaux, disparaissant dans les bois les plus proches et laissant le "truck" aller s'encastrer dans la Péchot qui remontait un train de travaux. L'affaire fit grand bruit et donna lieu à une enquête de gendarmerie qui, bien sûr, aboutit et mit fin à cette belle occupation ferroviaire.
Des vestiges du "stratégique", il y en eut beaucoup, et pendant longtemps. Très longtemps même pour certains bouts de rails qui, noyés sous le macadam, réapparaissaient périodiquement. Mais à partir de 1980, la grande fureur des travaux routiers balaya tout, jusqu'au heurtoir de la voie de sécurité, à la sortie du château, que sa solidité et les grands arbres qui l'entouraient avaient longtemps préservé des bulldozers.
Dans le Belfort d'aujourd'hui, plus rien n'est là pour rappeler le stratégique; j'ai moi-même peine à y réimplanter mes souvenirs, et pourtant.....Sur les chemins d'accès aux forts, il en va différemment: un oeil exercé retrouve encore, dans le calme des forêts, de petites choses, telles, vers le fort de Roppe, l'amorce d'une voie d'ensablement, au cas où un train se serait emballé à la descente.
Belfort n'est plus, ni une place forte, ni une ville de garnison; la plupart des casernes ont été rasées, libérant d'immenses terrains sur lesquels se déchaînent  les promoteurs immobiliers. Mais dans certains forts abandonnés et fermés, on peut toujours voir intacts, pris dans le béton, les petits rails du chemin de fer stratégique. Dans le Belfort des années 70/80, une rumeur circulait, tenace; elle s'éteignait, puis refaisait surface. Dans les profondeurs de l'un ou l'autre fort, on aurait retrouvé une Péchot oubliée. Bien sûr, ce n'était qu'une légende, une illusion, mais une illusion qui montrait combien le stratégique avait fait partie du vieux Belfort.

 

L'un des locotracteurs à huile lourde, type LG, vu à la sortie du parc  à Ballons.

Une Péchot suivie d'une citerne Decauville surmontée de sa pompe à bras stationne à la sortie de l'ERM

Les Péchot dans leur environnement.

Une Péchot  suivie d'une Decauville. (peut-être une double traction)

Une Péchot chargée sur un truck de la Compagnie de L'Est.

9ème Régiment d'Artillerie à Pied : transport de canons

9ème Régiment d'Artillerie à Pied : transport de deux canons de 138.

9ème Régiment d'Artillerie à Pied : embarquement de matériel

9ème Compagnie d'Ouvriers d'Artillerie : installation de voie au Bosmont

9ème Compagnie d'Ouvriers d'Artillerie, L'Arsenal du Vallon et le dépôt des machines

Le Fort Hatry

Belfort-Danjoutin : Caserne du Bosmont

Belfort : Fête du 14 juillet 1909 au pied des remparts.

Belfort : Le pont stratégique-Les halles-Le Château

Belfort : Dragons sur le quai Vauban (1904-1906)

   

30 Janvier 1915.

Déraillement sur les pentes du Salbert près de l'abri caverne.
A cette époque, temps de guerre, les pentes des forts avaient été déboisées.
Deux chèvres, l'une modèle 1840, l'autre modèle 1875, vont être utilisées pour remonter la locomotive. Un ancien commandant de réserve, mobilisé, mais sans emploi, le commandant JEANDON, ingénieur en chef des TP à Vesoul, sera chargé du rapport de cet accident.

30 Janvier 1915

 
   
Encore une fois, un grand merci à Jean FLORIN que je vous présenterai plus longuement très prochainement.